C'est une histoire désolante. Une histoire qui ressemblait à un conte, à un rêve qui risque d'être brisé par une simple décision administrative. Une histoire d'enfants et de bêtes à Bon Dieu, reposant avant tout sur la passion et l'inventivité d'un maître d'école, et pour laquelle toute une ville de Corrèze est en train de se mobiliser.
Lorsque, il y a dix ans, Daniel Jaubert, instituteur à l'école primaire Jules-Ferry de Brive-la-Gaillarde, est nommé sur un "poste-projet" destiné à dynamiser l'enseignement des sciences à l'école, personne ne se doute que l'aventure est au coin du préau. Ni que l'enseignant, dans les deux salles qui lui sont réservées, va développer un Centre de ressources technologiques et scientifiques (CRTS) hors du commun.
Chaque année, 40 classes de primaire, allant du CP au CM2 et venant de
toutes les écoles de la ville, s'y initient aux mystères de la robotique, de
l'électricité et de la matière. Mais aussi, et surtout, à une expérience
sans équivalent en France : l'élevage des coccinelles et la commercialisation
de leurs œufs à des fins écologiques.
Taches noires sur robe rouge, petites pattes courant sur la peau, ailes fines soudain déployées comme celles d'un jouet... A la voir ainsi nous porter bonheur, toute ronde et sans venin, on en oublierait presque que cette représentante de la vaste famille des coléoptères est un fauve en miniature. Et que sa demande en pucerons - car elle n'entend pas se nourrir d'autre chose - peut atteindre 150 individus par jour, ce qui en fait une alliée précieuse des jardiniers dans leur lutte biologique contre ces ravageurs de jeunes pousses.
En 1998, alors que son CRTS commence à prendre tournure, Daniel Jaubert découvre que la ville de Caen, dans le cadre de la lutte écologique contre les insectes nuisibles, mène depuis 1981 un élevage de coccinelles. Il prend contact, se renseigne... et décide, lui aussi, de monter un projet "Coccinelle".
Désormais, ses élèves élèveront des membres de l'espèce "sept
points" (ou Coccinella septempunctata, la plus commune sous nos
latitudes) et apprendront à observer son cycle immuable : l'œuf, la larve, la
nymphe, puis la forme adulte - laquelle donnera de nouveaux œufs après vingt
et un jours... La vie en action.
CAPUCINES ET LUPINS
Désormais, ils vérifieront aussi, de leurs propres yeux, les vertus de la coccinelle comme insecticide naturel. Moins mobile que l'adulte, mais ne mangeant toujours que des pucerons, la larve sera l'agent idéal. On déposera les œufs sur des rosiers, des capucines ou des lupins, et les larves qui en sortiront feront un travail efficace en quelques jours.
Moins rapide qu'un insecticide chimique, mais bien plus sélectif ! D'où le dernier volet de ce projet : la commercialisation des œufs. Livrée par La Poste avant l'été, chaque ponte est fixée sur une bande de papier, prête à être posée directement sur la plante à traiter. Et ça marche : plus de 200 envois effectués en 2003 dans toute la France ! Soit un gain de 5 000 euros, réinvestis en matériel pour le CRTS... Et une formidable expérience sur le plan pédagogique, à laquelle s'ajoute la création d'un site Internet (www.coccinelles.com) qui a remporté, en 1998, l'un des prix du concours "La Route du futur" de Microsoft.
Voilà toute l'histoire, et tout son intérêt. Mais las ! En février 2004, l'inspection académique de Corrèze décide de supprimer le "poste-projet" de l'école Jules-Ferry. Economies obligent... A Daniel Jaubert, on propose un poste de remplaçant, ce qui, lui dit-on, lui permettra de continuer en partie à animer son centre. Sans comprendre, sans doute, que l'entretien des coccinelles ne peut en aucun cas se satisfaire d'un temps partiel. C'est qu'il faut en effet, et quotidiennement, entretenir les pucerons, élevés sur des petits pois ; surveiller la ponte, prélever les œufs ; et, bien sûr, nourrir les coccinelles. "Tous les jours d'octobre à avril, dimanches et jours fériés compris, je consacre une à deux heures à l'entretien de l'élevage, et bien plus d'avril à juin, quand le nombre de reproductrices devient maximal", précise Daniel Jaubert.
L'instituteur a beau faire, il ne se résigne pas à voir couper les ailes d'un projet si bien mené. Et il n'est pas le seul. Tandis qu'une pétition de soutien - qui a déjà recueilli plusieurs centaines de signatures - circule dans les écoles de Brive, les représentants des parents d'élèves de l'école Jules-Ferry, dans une lettre adressée il y a quelques semaines au rectorat de l'Académie de Limoges, soulignent l'importance du CRTS, non seulement pour l'apprentissage des enfants, "mais aussi pour le rayonnement local, régional et national de ses activités". "En encourageant l'éducation à la nature, à des principes sains de vie, ce 'poste-projet' correspondait à un besoin évident", déplore pour sa part Julien Reynal, directeur du service de l'enseignement de la mairie de Brive, qui a investi près de 70 000 euros et détaché un agent communal pour aider à l'entretien du CRTS. A la mairie, dans les écoles, tout le monde espère qu'il n'est pas trop tard. Il suffirait que l'inspection d'académie de la Corrèze accepte de placer Daniel Jaubert sur un poste de maître-formateur (ou conseiller pédagogique) pour que l'aventure se poursuive.
Sinon, l'enseignant est catégorique : il jettera l'éponge et reprendra une classe normale. Et les coccinelles mourront.
Catherine Vincent